Chapitre 14

Eagles

Une petite crique aux eaux blanches avait abrité leur pique-nique improvisé. Zéro nuage à l’horizon, un barbecue de poche, deux verres Nutella de sauvignon frais, trois bars brûlants, cinq oiseaux de mer aux yeux ronds et interrogateurs comme témoins, l’équation parfaite de la simplicité, la suite de Fibonacci pour mathématiciens du grand air.

La traversée de retour s’était déroulée dans un silence que même les dauphins n’avaient osé perturber. Une fois arrivé au port Tabarly avait récupéré son équipier sur ses deux jambes, et leur accolade de départ promettait de futures parties de bouteilles en l’air. Le périple continuait. Gabriel avait choisi de pousser jusqu’à La Rochelle. Une ville qui mettait en circulation des bus qui roulent au marc de raisin devait s’y entendre en étrangetés viticoles.

Tout en somnolant il imaginait les vapeurs des pots d’échappement parfumées aux petits fruits rouges et aux émanations de cognac. Un faune couvert de tatouages balançait à grands coups de fourches d’énormes grappes de raisins dans la gueule grande ouverte de l’alambic. Le monstre de cuivre ronronnait de plaisir et fumait sa joie en transpirant par tous les pores son jus odorant. Rythmés par les changements de vitesse du conducteur-distillateur, les passagers de l’étrange véhicule chantaient et levaient leurs verres à la santé de Bacchus et des transports en commun, qui effectivement les transportait totalement ailleurs.

Welcome to the hôtel California, such a lovely place…

Une jeune femme couverte de pétales de roses et de feuilles de vignes flottait dans les allées, une jarre en terre à la main. Fontaine de bulles et de fruits rouges. Une fée. Elle remplissait à la volée les coupes que le chauffeur avait offertes à chaque voyageur. Service public, service compris.

…such a lovely face…

Gabriel se mit à chanter lui aussi.

Coup de frein. Retour brutal sur le fauteuil en velours qui gratte, le nez à deux centimètres du cendrier qui devait se morfondre des temps joyeux de la fumette.

« La Turballe, cinq minutes d’arrêt ! »

Autour de lui quelques paires d’yeux le fixaient. Il avait en bouche un parfum intense de fraises des bois. Immédiatement Gabriel pensa au Sève rosé de saignée d’Olivier Horiot. Déformation professionnelle. Heure de l’apéro aussi.

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