Chapitre 3

Mardi matin à l’ouest

Il se réveilla avec les mouettes et une faim de loup. L’air iodé était un démultiplicateur d’appétit.
Le village côtier dans lequel il avait atterri était riche en cavernes d’Ali Baba gourmandes, aussi une douche et quelques mouvements d’étirements plus tard il prenait la direction du port. Gabriel, malgré tout conscient de la dangerosité cardio-vasculaire de son métier-hobby, s’imposait à chaque lever quinze minutes d’exercices physiques, ce qui lui permettait de vivre en parfaite conscience avec sa vie de buveur patenté. Les quinze minutes glissaient toutefois vers la pente savonneuse des dix, mais Coué faisait bien son boulot.

Son hôtel était niché dans un petit coin de verdure à côté d’une vieille chapelle, et le restaurant promettait un homard façon du chef dont il se léchait les babines à l’avance. Il en avait entendu parler et pour rien au monde il ne raterait cela. Un rapide coup d’œil à la carte des vins dans sa chambre l’avait rassuré. Un endroit qui propose du Château Yvonne blanc – bien placé dans son hit-parade des chenins de Loire – ne pouvait être foncièrement mauvais.

Il prit le chemin le plus court vers la boulangerie, la balade qui longe la mer sera pour plus tard, une fois la dose de beurre, de sucre et de pâte à pain bien au chaud dans son estomac de goéland. Note de l’auteur : pour les non-Bretons le goéland, aussi communément appelé mouette, est un volatile qui mange beaucoup. CQFD.

Tout en dégustant l’hérésie calorique face au port, il se mit à réfléchir à son plan de bataille, assez simple dans sa finalité. Matin, quête d’informations sur le diamant bleu chez quelques cavistes qu’il connaissait. Midi, halte obligatoire chez Roger, tenancier d’une épicerie / crêperie / librairie un peu folle qui baignait toujours dans le jus des années soixante. Et surtout il avait une collection de cidres qui valait son pesant de bigorneaux. Après-midi libre, comme dans les croisières Costa. Balade-sieste-balade-apéro lui semblait être optimum pour attaquer le roi des crustacés à pinces du soir.

Une fois les lèvres suffisamment beurrées Gabriel se rendit en sifflotant chez Vincent, qui tenait un bar à vins non loin de là. C’est beaucoup plus facile d’imiter le merle la bouche ainsi lubrifiée se dit-il en souriant. Il était d’humeur joyeuse, trouvant finalement que ce voyage était une bonne idée. Il avait déjà rencontré Vincent, sa jovialité et son catogan à quelques occasions, et avait été surpris d’y trouver quelques magnums de bourgognes blancs de chez Emmanuel Giboulot, l’un des pionniers de la biodynamie. Dans ce bled ! Chaque fois que Gabriel revenait dans le coin il passait lui dire bonjour. Une belle quille partagée crée des obligations de bienséance.

–       Gabriel, comment vas-tu ? Cela me fait plaisir de te voir ici ! Je vois que tu n’as pas oublié tes origines ?
–       Et non, le beurre salé, que veux-tu, c’est comme une drogue. Il faut revenir de temps en temps chez son dealer.
–       Je te sers un verre ?
–       T’es fou, il est trop tôt.
–       Mais non, regarde. Je viens de recevoir mes derniers petits de la Grange aux Belles. Un ch’nin terrible, Fragile. Ça passe bien le matin.
Deux verres plus tard la bouche était moins grasse et la langue claquait bien. Gabriel ne résistait jamais à l’appel du chenin, l’une de ses nombreuses petites faiblesses.
–       Écoute, j’connais pas. Et même jamais entendu parler de ce vin bleu. J’en ai vu pourtant une fois sur Face de bouc, mais jamais en vin de l’Atlantique… On ne fait pas de vin en Bretagne ! C’est peut-être plus sud, vers les Charentes ou le Bordelais. Ce n’est pas encore la Méditerranée par là-bas.
–       T’as raison. C’est moi qui suis un peu con. J’ai vu ce nom, cette couleur et j’ai pensé Bretagne. Inconsciemment je devais avoir envie d’y venir boire un canon.
–       T’as bien fait ! Je te ressers ?
–       Niet mon ami. La marée monte trop vite ici. J’ai encore un pèlerinage à faire, et je ne tiens pas à rentrer en brouette à l’hôtel.

Le second caviste demandait dix minutes de marche. De quoi faire oublier les deux premiers (petits) verres. Joanis était établi depuis peu, mais avec un père viticulteur dans le muscadet (ah Jo Landron !), il était au courant de tout ce qui se tramait dans les vignobles de l’Ouest. Ici pas de bar, ce qui finalement arrangeait Gabriel qui craignait une nouvelle embuscade, lui victime idéale toujours consentante. La réponse était la même. Inconnu au bataillon des quilles ! Même après un coup de fil au paternel.

Le mystère restait entier.

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