Rose poussiéreux

« Boum boum boum.

Les sons lointains et saccadés résonnent dans la tête de Réa. Ses paupières sont lourdes et son cerveau a du mal à se reconnecter à quelque chose de réel. Uniquement des sensations étranges, même pas désagréables. »

Je sens à ce moment que l’histoire commence à palpiter quelque part au loin. Les rouages de la machine implacable se mettent en marche.

J’ai écrit les premiers chapitres dans un désordre total car je voulais d’abord mes personnages. Ils sont presque tous déjà sur le papier, même si je sens encore quelques-uns qui demandent à sortir. Je ne pensais pas garder cet ordre-là, mais finalement l’idée du puzzle et de la rupture me plaît bien. J’aime l’idée d’entrecouper les fils des évènements et de monter un parallélisme qui pourrait un jour se dérégler. Enfant j’étais fasciné en cours de mathématiques par les droites parallèles qui ne se rejoignaient jamais. Quelle tristesse J Je pense toujours que c’est une vue de l’esprit. Le cercle et la courbe dominent notre univers, notre vie, pas la droite. Et de plus en plus.

À ce moment-là rien n’était prévu, je me laissais porter.

J’ai participé à un atelier d’écriture en début d’année, et les conseils que j’ai pu avoir n’étaient pas (alors) en phase avec mon état d’esprit du moment. « Tu dois avoir une trame, un fil conducteur, savoir d’où tu viens et où tu veux aller, ensuite tu y suspends les chapitres et tu donnes de la chair ». J’ai plutôt commencé à « épaissir » mes nouveaux amis avant de savoir ce qu’ils allaient devenir dans les jours à suivre. Après tout, pourquoi pas. Qu’ils vivent leur vie après tout.

J’étais aussi un peu le cul entre deux chaises, j’hésitais.

D’un côté j’avais envie de montrer un environnement glauque et sordide dans lequel Réa allait se réveiller. Le pendant de l’univers de Jouland, un truc immonde rempli de froid et de terreur, comme on peut en lire parfois. De l’autre le père que je suis hésitait et avait un peu mal au bide. Finalement l’image sera tout même rose et pas noire, mais plutôt poussiéreuse que sanguinolente ou morbide. Le vide et la solitude plutôt que l’humidité et les bestioles. Le trash inutile ne m’intéresse pas, et de tout façon les personnages n’en ont pas voulu. Ils sont raisonnables, parfois plus que moi.

Araignée

L’homme que l’on découvre, Pietr, est cynique, calculateur. Lui-même se définit « marchand, pas barbare ». Ce qu’il fait est monstrueux, mais il a néanmoins une certaine forme de lucidité et de recul. « Ce n’est pas de ma faute s’il y a des parents inconscients. ». Il a pris son temps, a bien observé, tout noté. Simple, efficace. Effrayant quand on y pense. Il faut toujours faire attention lorsque l’on mange une glace en marchant. Un trottoir, une merde jaune et fumante – un aimant à chaussures -, une bousculade. Ou pire.

Il subit le système et en joue (on ne connaît pas bien son histoire), ses actes sont la résultante d’une société qui roule sur la jante et qui favorise ses propres dérèglements. Qu’il voit Trump à la télé est tout aussi symbolique. Le pognon et la puissance avant tout. L’empathie et la bienveillance pour les faibles et les ignorants. Les forts gouvernent et laissent les miettes aux affamés qui se nourrissent comme ils peuvent. Et Pietr à faim.

Je me rappelle bien écrivant ce chapitre dans un troquet près du Luxembourg face à une bière, j’aime me poser dans toutes sortes d’endroits pour éponger les ambiances et imaginer les vies. Je nourrissais ma boîte à idées, mon voisin s’empiffrait d’un burger. Pietr est au MacDo.

J’ai de bons copains et des souvenirs joyeux de Prague. Dont un handballeur aux yeux bleus et magnétiques. Ne cherchez pas plus loin. Mais je ne lui ai pas volé son prénom.

Il a de grandes mains, elles lui seront utiles.