Chapitre 7

Van, couvert mais pas brumeux

La pointe n’avait pas changé, elle était toujours à la même place, ce qui tombait bien car c’est là qu’il allait. Sauvage était le mot qui convenait pour décrire cette avancée qui faisait face à l’océan, sans protection ni garde-fous pour le visiteur imprudent d’avoir trop bu avant de venir. Le ciel était bas, Gabriel aurait pu le toucher du bout des doigts. L’air était salé et épais, iodé comme un Amphibolite, l’un de ses muscadets préférés. Ici point de bistrot ni de buvette, encore moins d’échoppes à touristes. La vue, libre de tout parpaing ou tôles ondulées, accaparait tous les sens, les affûtait comme une lame japonaise.

Il avait passé une partie des vacances de sa jeunesse dans la région, y avait vécu ses premiers émois et ses premières révoltes, aussi un petit pèlerinage lui faisait chaud au cœur. Il avait vingt ans, de longues semaines devant lui, un petit boulot de barman occasionnel dans un rade de Douarnenez sur le port. La vie d’insouciance d’un étudiant en tout et n’importe quoi, pourvu que ce soit justement n’importe quoi. Une manifestation gigantesque qui se préparait une manifestation contre le projet de centrale nucléaire à la Pointe du Raz, juste en face, après la baie des Trépassés. Le bouche-à-oreille avait annoncé cent mille manifestants, un concert gratuit de Jacques Higelin et de Bernard Lavilliers.

J’avais 20 ans…

Gabriel frissonna. Le vent était vif et il n’avait plus vingt ans. Sa voiture était seule sur le parking. Pas âme qui vive. En quelques pas rapides sur les fins sentiers qui transperçaient les champs de bruyère il est arrivé à l’enclos de la chapelle. Sa tête a retrouvé machinalement la place qu’il affectionnait. Comme à vingt ans il a regardé par-dessus le muret, juché sur un coin de pierre qui dépassait. Il était toujours là et lui n’avait pas grandi.

La mer était aussi déserte que la pointe. Une étendue vert émeraude à perte de vue, balayée par des vents qu’aucun obstacle ne freinait. Quelques roches accrochaient le regard, plus loin un phare, et son œil averti reconnut l’Île de Sein en fond d’horizon. Au-delà l’inconnu, le grand bleu. Qui voit Sein voit sa fin. Quelle fin ? La fin du voyage pour le marin qui revient des mers lointaines ou simplement la fin de tout car les abords de l’île sont mortels. Il n’en savait rien, ne s’était même jamais posé la question. Ses pensées vagabondaient, le vent les feuilletait au gré de ses envies. Jusqu’à sa bouteille, sa bouteille bleue.

La Baie des Trépassés l’attendait. Il se hâta. Tristement célèbre pour les corps des naufragés que les courants déposaient inévitablement sur la petite plage de galets, l’endroit était également l’un des spots de surf les plus prisés de la Bretagne. Les vagues avaient bon goût, elles choisissaient généralement les coins les plus sauvages, là où la lumière est la plus crue et les aplats de couleurs intenses. Il y avait d’ailleurs deux ou trois surfeurs, agrippés à leur planche dans l’attente de la houle porteuse. Gabriel se rangea à côté de leur Combi. Pas encore la foule des grands jours. Le grand Hôtel était fermé. La chance lui souriait décidément.

Quelques petites échoppes ont attiré son regard.

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