Mis au banc de l’allée centrale
Ils sont tous là, pas un ne manque à l’appel. Comme tous les jours, hiver, été, matin de marché ou de vacances, qu’il pleuve ou qu’il COVID. Le rassemble-banc.
Jean, Paul, Georges et Ringo. Unis comme les quatre doigts d’une main, le cinquième était resté dans leur vie d’avant. Rien ne semble les perturber. Ils se tiennent toujours debout, le banc servant uniquement de vestiaire à sacs à dos et pochons à bière.
Le matin ils arrivent un par un de directions différentes, rasés de frais et vaillants. Tous ont le pas alerte et affichent le sourire de l’homme ravi de son sort, qui part à l’aventure du bitume avec ses potos de 8.6. Leur redbull à eux, enfant de la prêtresse Houblonis et du magicien Maltos.
Je ne sais rien d’eux, qui ils sont ni où ils habitent, s’ils se sont échappés de Gouyette [1]ou d’un abri en tôle et carton, mais ils véhiculent dignité et propreté. Je les vois gesticuler et fêter l’arrivée du nouveau comparse avec le même rituel. Chaque matin est un éternel recommencement et ils semblent heureux de le vivre ensemble. Ils sont invisibles des cadres cravatés et grisés qui les croisent sans relever leur tête, déjà accaparés par les calculs d’agios et autres résultats financiers.
Ringo (ne me demandez pas pourquoi) a de larges rouflaquettes et ses mains épaisses ont dû manipuler manèges en bois et poneys volants. Georges est fin comme une tringle à rideaux, et je l’imagine bien pince-sans-rire, un jour tailleur de tissus, le lendemain tailleur de haies. Tailleur de costumes en tout genre. Jean n’a plus de cheveux, et sa bille ronde et rouge brique brille dans le soleil du matin. Jean-qui-rit-Jean-qui-pleure. Paul est tout frisé, bien habillé, blouson en toile – jeans – baskets. Le leader de la bande, l’arpenteur de trottoir. Toujours en marche, toujours en observation, ses petits yeux malicieux scannent sans cesse les environs. À l’affût de la blague qui ferait marrer ses potes, de la pièce ou de la cigarette désireuses de changer de propriétaire.
Je les imagine refaisant le monde la canette à la main, voyageurs magnifiques chevauchant leurs chimères. Les phrases sont longues et les bras ponctuations, virgules animées et poings en suspension. Le verbe donne soif, alors ils boivent. Toute la journée.
Le retour du soir est plus laborieux, le chemin moins direct, le pas hésitant. Mais demain est un autre jour.
Let it be !
[1] « Les Vieux de la vieille » roman de René Fallet. Hospice d’où s’échappent les protagonistes
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Bruno