Bleu whisky

« Deux mois se sont passés depuis cette gare.

Se prendre deux gros pétards dans la gueule la même année pose de sérieuses questions. Je n’ai pas cherché la réponse, inconsciemment elle devait me faire peur, alors j’ai replongé corps et âme dans un abîme encore plus profond. »

Deux mois après avoir écrit « noir comme une nuit… », j’ai réouvert l’histoire, décidé à faire vivre ce brave flic. Je ne pouvais pas le laisser crever. Sa fatalité collée aux os m’interpellait. Je l’avais écrit, à peine esquissé, et maintenant j’avais envie de le découvrir, lui et son bâton. Il me bottait.

J’ai immédiatement appelé l’histoire ELLE avec un « s », même si la suite était encore fantomatique. Ce n’est que plus tard que la signification de tout cela m’est apparue.

J’ai retrouvé Jouland chez lui, englouti dans son propre enfer, tel Dante dans ses neuf cercles ou Jean Marc Barr au fond de son Grand Bleu. D’où le titre. Tapi au fond d’un océan de whisky, une fois la tasse bue et re-bue. De son cerveau Il ne restait que le reptilien de survie, manger – à peine -, boire et pisser. J’ai visualisé un appartement post-apocalyptique, lumière minimum au travers des persiennes fermées, totalement enfumé. Une ambiance comme l’appart de Deckard dans Blade Runner. Mais sans Rachel. Une tanière de vieil ours déglingué, l’antre du renégat. Des cendriers qui débordent, des paquets vides écrasés jetés sur le parquet, des chiottes immondes. Je le vois pisser assis par fainéantise.

Le bleu, le blues, le whisky.

Grand bleu

Je l’ai vu gueuler en silence, avachi sur son Chesterfield dans un salon qui n’avait plus rien d’anglais. Je l’ai vu face à son écran de télé noir. Face au néant, face à rien. De toute façon il ne lui restait rien. Des télécommandes inutiles.

Un seul disque, Beethoven.

La tempête de Beethoven est une pièce qui me touche particulièrement. Je l’ai beaucoup écoutée, divinement jouée par mon amie pianiste Mi-Young. L’an passé nous cherchions les meilleurs accords musique & vin qui pouvaient sublimer ce morceau et faire voyager tous nos sens. Les images de bateau à la dérive, de calme entre deux coups de vents me faisaient frissonner. J’étais moi aussi seul sur une plage. De galets, pas de sable. Une lumière d’un bleu profond, presque noire, teintée de violet et de rose du crépuscule.

Vous ne connaissez pas la Tempête ?

Le bleu était définitivement dans ce chapitre de reprise. L’alcool aussi. A cette période j’ai redécouvert l’Ardbeg. Jouland l’a aussitôt aimé. Le Jack Daniels n’a pas de caractère, limite écoeurant.

Jouland a une fille, je l’ai entrevue à ce moment. J’ai commencé à réfléchir à sa vie d’avant. Une fille, Sarah, et une femme, au cimetière de Montparnasse. Pas très loin. Elle n’a pas de nom. Je ne sais pas encore ce qui s’est passé. Un accident ? J’avais en tête une voiture fracassée, lui bourré au volant. Mais tout peut changer.

Les personnages arrivent petit à petit. Maintenant son collègue flic l’appelle. Je l’ai appelé Gutenberg parce qu’à ce moment je pensais écrire un « vrai » bouquin, et donc le faire imprimer. C’est con, mais les associations d’idées sont le plus souvent assez terre à terre. Pourquoi Eric ? Aucune idée. Ça sonnait bien. Et il a des choses à lui dire, les premiers tuyaux d’une enquête qu’il n’imagine pas encore. Il lui fallait cela pour le faire bouger. Je pense que Jouland avait aussi un trop-plein d’alcool et que son corps n’en pouvait plus. Mais il ne l’admettra pas, il est trop fier.

Il a extirpé sa carcasse de son canapé pourri et s’est décidé à bouger. L’extérieur l’a surpris. Il passait soudainement de l’hiver au printemps.

Sensation perturbante de débris, plus en phase avec le monde qui l’entoure.

Une éclaboussure sur la toile…

Noir bleu