Noir d'une nuit sans lune

 » J’avais mal au crâne, le trop-plein voulait déborder. Trop d’émotions, trop d’alcools, ça dégueulait de partout.

Nuit de galère… »

Ce premier chapitre a été écrit comme une nouvelle, en écriture très intuitive.

J’avais initialement envie de le peindre en noir, du très foncé, sans couleur ni relief, sans espoir. Un abîme. D’y mettre un personnage noir fumé par l’alcool, noir encrassé par les clopes, noir sale par sa plongée aux enfers, noir dans son corps et son apparence à faire peur à un corbeau.

D’où la nuit sans lune. Seul quelqu’un de lumineux pouvait le remarquer, ombre parmi les ombres.

Ce banc où il était échoué, je l’ai vu ou revu. C’est le banc sur lequel on s’est (presque) tous affalés un matin en rentrant d’une nuit sans fin, quand le petit jour pointe le bout le son nez et nous fait une gueule blafarde. Quand on se bat avec ses jambes, que notre cerveau est en mode « ailleurs sur une autre planète ». Les poches remplies de petits papiers froissés et de quelques pièces de monnaie rescapées de lieux sans nom. Quelques visages anonymes flottent, eux aussi sans nom. Un goût dégueulasse en bouche ; l’impression d’avoir embrassé le cul d’une hyène.

Machinalement je l’ai mis inspecteur de police, j’aurais tout aussi bien pu en faire un cadre, un architecte, un toubib. À la limite peu importe. La gueule de bois est universelle, le désespoir aussi. Mais l’histoire aurait été différente.

J’avais également envie de surprendre par un vocabulaire et des verbes qui pouvaient faire penser que le héros était quelqu’un de tout à fait normal. On ne sait rien de lui, je ne savais rien de lui à ce moment. Dans le flou moi aussi.

Le banc de Jouland

L’ange qui l’a trouvé, réveillé – il a cru voir un ange – n’a toujours pas d’aspect physique, de densité. Il ou elle aurait pu être virtuel. Mais Jouland s’y est accroché, comme un noyé à une bouée inespérée. Un réflexe désespéré. Et il a voulu revoir son sauveur. Il a certainement enjolivé cette rencontre. Le Perrier m’a fait rire et donné envie de boire une bière. Une Brooklyn, format 50.

Gainsbourg était présent pendant l’écriture, et « fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve » est arrivé de loin, j’ai entendu une première note, une première phrase, et la voix hésitante de Birkin collait bien à mon ambiance. Et comme Jouland était dans la fuite…

J’ai pensé à le mettre dans un train – il n’est pas autonome – et les images de mes voyages d’enfant sont alors ressorties instantanément de la boîte. Les trajets interminables, les banquettes vertes en skaï qui pue, les compartiments pour six personnes et leurs photos noir et blanc de ponts et de paysages, les voisins trop gros et les sandwichs bien emballés dans du papier-alu. La gourde, les verres plastiques et l’odeur du pâté de campagne. Des miettes partout. Ça faisait teuf-teuf, ça bougeait de tous les côtés, on sentait le moindre rail, mais la première heure était merveilleuse. Dès la deuxième l’ennui était là et le film derrière la vitre toujours le même. Des fermes, des champs.

Quand même, il faut se mettre dans l’ambiance.

Merci Serge, merci Jane et merci YouTube !

Jouland ne pouvait pas avoir une canne comme tout le monde. Il voulait un prolongement, un guide. De l’ordre du spirituel, loin du plastique et du toc. C’est un personnage enfermé dans une carapace de noirceur, il fallait alors un combat, une lutte d’influence entre deux caractères de dogue. C’est lui qui l’a surnommée ELLE, celle qui n’a pas de nom. Pas moi. Le pronom est devenu nom propre. Je ne savais pas encore qu’elle était la première des ELLE(s). Je l’ai su au deuxième chapitre, quand je me suis attelé à un vrai roman. Le titre était là.

Les buffets de gare m’ont toujours fasciné. Étudiant j’ai passé des heures à observer les « gueules » des habitués qui y passent leurs journées et parfois leurs nuits, je suis glissé à leur insu dans leurs conversations. Tous parlaient de voyages. Rêves et désillusions. Partir ailleurs, changer d’habits. Le train nettoie, permet de changer d’identité. Toujours. Surtout en province.

La « pirouette » de la fin du chapitre ne devait pas avoir de suite. La fatalité rejoint Jouland, sans issue possible. Plus noir que noir. La mort.

Buffet de la gare