« J’entends le bruit de la baignoire du voisin du dessus. Ceux du troisième sont déjà levés depuis un bon moment

La nuit a été agitée. Madame Seznec, son ragoût et ses agréables commentaires n’y étaient pas étrangers. »

La nuit a été courte pour Jouland.

Ça dissonait très fort, ça secouait à l’intérieur.

Chez moi aussi la secousse était là.

J’avais envie de tout laisser tomber, je me disais que cela ne servait à rien, que je n’arriverais pas au bout de cette aventure. Trop compliqué, monter une histoire de toutes pièces était réservé à des gens dont c’était le métier, et que moi, face à cet ordi je n’y arriverais jamais. On ne pouvait pas s’improviser écrivain.

Je tapais dans le dur.

Et j’étais comme un con dans mon canapé. Le verre vide.

Et je ruminais.

Et je me maudissais.

J’étais comme Jouland, torturé par des interrogations quasi métaphysiques.

D’ailleurs, au moment où je vous écris, là maintenant, alors que ELLE(s) est entre vos mains, j’ai encore des questions, pas les mêmes, mais toujours des vagues d’incertitudes qui cognent à la porte. J’ai passé des dizaines voire des centaines d’heures avec mes potes personnages, et je me demande toujours si ce n’est pas une gigantesque daube, trop compliquée ou la minute d’après trop facile, trop bateau, pas assez riche. Bref, un nanar comme on en voit des dizaines, alors que j’écrivais avec mes tripes, mes angoisses et mes doutes. Les premiers lecteurs avaient aimé, mais n’avaient-ils pas aimé parce que c’était moi, Bruno, qu’ils me connaissaient et que la complaisance avait insidieusement faussé leur jugement. Je reçois toujours quelques retours d’éditeurs qui ne trouvent pas ELLE(s) en ligne avec leur ligne éditoriale. Mais je m’en fous des lignes, rien n’est droit sur terre, alors une ligne éditoriale… Une formule polie pour dire qu’ils l’ont lue en diagonale (encore une droite) et que non, va te rhabiller et arrête de nous polluer les yeux avec ton truc sans queue ni tête, niveau rédaction de bac de Français quand t’es pas inspiré et qu’il faut bien remplir deux ou trois pages.

En résumé retourne à ton boulot et ne fais pas chier les vrais écrivains…

Marron fumé, limite noir d’encre.

Mais étant têtu j’ai appelé la voisine et la fille de Jouland à la rescousse. Si lui pouvait se bouger le cul alors moi aussi. Du Coué de canapé.

Et alors j’ai avancé dans le chapitre, L’Amaretto de la vieille m’a fait sourire, et j’ai continué à taper sur le clavier. Lentement, en cherchant mes mots, en posant phrase après phrase, un peu comme le coureur que j’ai été dans une course de très longue durée. Quand tu tapes dans le dur, quand il faut arrêter d’imaginer la ligne d’arrivée, et simplement demander à ses jambes d’avancer l’une après l’autre, sans se soucier du reste. Bouger pour y croire, limite survivre. Chaque mot arraché au vide est un mot important. Chaque phrase t’amène plus près d’une porte qui va peut-être s’ouvrir. La porte de la créativité, et juste derrière il y a l’IDEE, celle qui va tout changer.

Alors oui, continue, montre que ton encéphalogramme n’est pas plat, et fais-le, rien que pour toi. Ne pense pas aux autres. Surtout pas. Apprécie chaque lettre, chaque appui sur la touche ENTREE. C’est un début de clé dans la serrure de ta porte.

Jouland s’est levé, a pris appui sur ELLE, et au hasard d’un trottoir (ou pas), son nez a repéré quelque chose. Le mien aussi. Un début de piste…

Tourne la page et continue.

Diagonale

La délivrance au bout de trois jours de course.

Un pied devant, puis un autre…

2 réponses
  1. Nat
    Nat dit :

    Quelle leçon de vie. Encouragement à aller au bout de ses rêves, au delà de soi, à croire en soi. pour soi. faire les choses pour soi parce qu’elles ont un sens. sans se soucier des autres. et plus tard se rendre compte que l’on était dans le vrai. Never give up. Believe in your true self. Merci pour tout ça.

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    • brunocolinauteur
      brunocolinauteur dit :

      Louis Jouvet disait « quand je ne ressentirais plus le stress, alors je ne serais plus acteur ».
      Je pense que le jour où je ne n’aurais plus de doute je ne serais plus créateur. Tous les jours je doute… et j’espère encore longtemps.

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