Une feuille épinglée sur la porte indiquait laconiquement Vins et boissons en tout genre, surtout naturels. En cas de fermeture merci de vous adresser à la biscuiterie de la Pointe du raz, sur la route qui ne mène à rien.
Gabriel était dépité. Sa montre le précipitait vers midi, et son estomac de glouton nettoyé au vent de Van commençait à crier son ennui. Le Momo d’hier était totalement oublié. Il devait continuer coûte que coûte. Le chemin qui ne menait à rien était aussi cahoteux que son humeur, qui oscillait entre curiosité et impatience. Il se promit à lui-même un bon canon de réconfort dès que ses pas le porteraient vers un estaminet digne de ce nom. Récemment il avait plongé ses lèvres dans un verre de yo no puedo mas du Mas d’Agalis, il en avait été tout retourné. Il n’en pouvait plus lui non plus. Mais Lionel[1] lui avait promis de lui faire goûter à son Grand carré dès qu’il serait en bouteille, le blanc du domaine qui promettait mont St Michel et merveilles. Il se remit à fredonner.
La bâtisse était grande, impossible de la rater. La biscuiterie d’origine s’était progressivement transformée en supermarché de tous les bons produits du coin. Bien entendu le biscuit breton produit sur place y était roi. Il y en avait de toute taille, de tout parfum, en étui individuel comme en brouettées de 50 kg. À la farine de froment, de sarrasin, salés, sucrés. Mais Gabriel n’était pas là pour cela. Le rayon des produits frais faisait honneur au fumoir de la pointe du Raz, dont il n’avait encore jamais entendu parler. Son estomac aussi curieux que son gosier lui imposa une courte halte car quelques menus morceaux de saumon fumé (bio) étaient offerts à la dégustation. Le fumé était léger et agréable au palais, le poisson sec et néanmoins moelleux. Bon point ! La maison avait un goût certain. Le fumoir travaillait aussi les noix de Saint Jacques, pétoncles et différents poissons, thon, maquereau, tous sous vide et fort appétissants. Son œil averti avait porté son choix sur les joues de lottes. Inutile de préciser au lecteur que Gabriel avait alors immédiatement visualisé une miche de pain tiède, un beurre Bordier au Yuzu, quelques verres et un litron de Mâcon-Cruzille (pourquoi pas un Guillot-Broux d’ailleurs) pour accompagner ces friandises.
Il devait continuer à fouiner. Au détour d’un tas de galettes un présentoir à bouteilles offrait whisky, rhum, et vin ! Son œil affûté a de suite scanné une présence bleue, totalement anachronique. Bousculant touristes kawaytisés et Nikonisés, négligeant la jeune employée au tablier brodé qui lui demandait s’il avait besoin d’aide, Gabriel s’est précipité les deux bras en avant. Sa promise, son précieux. Elle était à lui. Personne ne se dresserait devant lui et l’empêcherait de la saisir. Enfin.
La couleur était la bonne, mais son excitation lui tomba dans les chaussettes quand il lut l’étiquette. Rhum arrangé des îles parfumé au curaçao. Le juron qu’il balançât fit frémir les amoncellements de Délices du Raz aux pépites de chocolat.
[1] Lionel Maurel, le vigneron du Mas d’Agalis
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Bruno