Le lendemain matin sa décision était prise, il ne pouvait s’arrêter, réputation et curiosité obligeaient. Il allait longer la côte atlantique, fouiner du côté d’Auray et du port de La Trinité sur Mer. Gabriel avait fait un peu de voile dans sa jeunesse, les transocéaniques le faisaient toujours frissonner, et le port regorgeait de spots à pif pour marins en goguette. Les hommes de la mer sont au courant de tout !
Le trajet était court, une heure et demie d’un train omnibus.
Personne ne parlait, le wagon tout entier était bercé par la longue houle régulière du rail. Une odeur familière lui chatouillait les narines. Il en fallait peu pour lui réveiller l’estomac car son petit-déjeuner avait été frugal, faute de temps. Sur la banquette proche de lui une femme sans âge avait alors sorti de son cabas des sandwichs au jambon. Lui qui se revendiquait fin gourmet ne résistait pas à l’odeur acidulée des cornichons. Avec une giclée du cahors de Combel la Serre ! Le voisin, son mari sans doute, dormait paisiblement. Sa respiration profonde et bruyante rythmait une aventure intérieure a priori palpitante. Il sursautait involontairement. Il doit être loin, s’était alors dit Gabriel, galopant dans le Far-West à la recherche de la mine perdue, ou tout simplement dans les bras d’une blonde tiède comme une brioche. Non, pas de brioche, pas maintenant.
Le port était fidèle à ses souvenirs, mais en plus grand. La forêt de mâts et de fanions attirait immédiatement les regards. Elle s’étendait à perte de vue, peuplée de haubans qui se claquaient la bise sous la brise. Une fois la chambre réservée dans le premier hôtel qui affichait quelques vins propices à la consommation, il posa estomac et esprit à l’ombre d’une terrasse en fleurs, face à la digue.
Il était fasciné par l’énergie qui se dégageait des bateaux. Ils semblaient vibrer à l’unisson, tels une horde de chevaux sauvages enfermés dans un enclos trop petit. Leur respiration était profonde et lente, leurs muscles se soulevaient doucement d’avant en arrière pour mieux épouser l’océan qui les narguait. Un souffle d’air marin et leur pouls accélérait. Les bruits des filins qui s’entrechoquaient rythmaient alors leur énervement. L’appel du large, l’appel de leur terrain de jeu. Les mouettes elles aussi observaient leur manège du haut de leur poste d’observation, perchées sur les mats désœuvrés.
Bateau libre toujours tu chériras la mer !
Il sourit.
La boîte de sardines-pain-beurre qu’il venait de dévorer lui avait permis de réfléchir à un début de plan d’attaque, et le muscadet lui donnait l’énergie. Étonnant ce Catorpée nature de Romain Petiteau, un véritable bonbon légèrement acidulé. Il photographia l’étiquette. Il devait commencer par trouver les marchands de quilles les plus branchés nature, pour ensuite terminer par les bars où l’on boit bon. Recherche vin bleu désespérément !
Gabriel commençait à se sentir un peu seul. Vin et solitude ne font pas toujours bon ménage, et il aurait volontiers partagé son muscadet avec un copain ou une copine de soif. Il n’était pas sectaire quand il s’agissait de se cogner les verres, tant que le sourire était là. Mais il ne connaissait absolument personne dans ce coin touristico-voileux. De dépit il jeta son dévolu sur une cotriade, version bretonne de la bouillabaisse sans la rouille, ni les mêmes poissons, ni les mêmes épices. Rien à voir en fait. Autrefois sa grand-mère en faisait parfois, les jours où le voisin-pêcheur était à la fois chanceux et généreux. Il allait partager avec elle le chaudron fumant, et trinqua à sa santé.
Sa déception fut à la hauteur de son attente. La petite cocotte abritait une soupe de poissons à l’arrière-goût métallique de la boîte en ferraille dans laquelle elle avait macéré, et les poissons qui s’y baignaient faisaient pitié. Trop cuits, trop fades, défigurés par un cuisinier manchot. Sa grand-mère en aurait mangé sa coiffe.
Ce n’est pourtant pas très compliqué merde, un p’tit roux, quelques légumes… morceaux de lotte, de lieu, de congre… sautés, saisis au beurre, pas bouillis… un peu de respect pour les pêcheurs !
Il était dubitatif, à deux doigts de partir immédiatement dans le premier bateau pour Paris.
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Bruno